En mai 2020, l'Association for Recorded Sound Collections (ARSC) devait tenir son congrès annuel à Montréal. Les organisateurs du Centenaire de la radiodiffusion au Canada avaient convenu avec la bibliothèque de musique Marvin Duchow de l'Université McGill, partenaire dans l'organisation du congrès de l'ARSC, d'organiser une exposition sur la radio destinée aux congressistes. Le congrès ayant dû être annulé, nous vous présentons ici l'exposition qui aurait dû avoir lieu à la bibliothèque.
Cette exposition illustre comment, dès son début, la radio a permis à la musique, le chant et le théâtre de faire leur entrée dans tous les foyers.
La fin de la Première Guerre mondiale marque la reprise des essais civils. Désormais, en plus des radio-amateurs, on compte plusieurs opérateurs qui, durant la guerre, se sont familiarisés avec la télégraphie sans fil (TSF). De nombreuses personnes obtiennent leur licence de radio-amateurs. Elles peuvent alors capter les messages TSF provenant de différentes régions du globe. Des entreprises montent des postes pouvant émettre en amplitude modulée (AM).
Le monde de la télégraphie sans fil se transforme ainsi pour faire place au téléphone sans fil, permettant à deux personnes géographiquement éloignées de communiquer par la voix. On réalise bientôt qu’il est non seulement possible à deux postes distants de communiquer entre eux, mais que l’instrument permet de rejoindre des milliers de personnes simultanément. On passe rapidement de la radiotéléphonie à la radiodiffusion.
À Montréal, la Marconi Wireless Telegraph Company of Canada obtient une licence de radiodiffusion expérimentale et commence à émettre en décembre 1919 à partir d’un studio situé sur la rue William en utilisant les lettres d’appel XWA.
En mai 1920, à l’occasion du congrès de la Société royale du Canada réunissant les scientifiques canadiens à Ottawa, elle produit à Montréal une émission au cours de laquelle on peut entendre des discours et quelques chansons.
Par la suite, les émissions deviennent plus fréquentes et plus structurées. En novembre 1920, moins d’un an après les débuts de XWA, on annonce un « Concert Berliner ». Pour le 31 décembre 1920, un autre concert est au programme et on prévoit que 1921 sera « l’année de la radio ».
En 1922, le gouvernement canadien accorde les premiers permis d’exploitation pour des stations de radios commerciales. Une vingtaine de permis sont délivrés dès le mois d’avril et 37 autres avant la fin de décembre. Pour le Québec, ce sont : CKAC (La Presse), CFCF (Marconi), CJBC (DupuisFrères), CHYC (Northern Electric), CFZC (Canadian Westinghouse), CHCX (L. B. Silver), CKCS (BellTelephone), CFUC (Université de Montréal), CFCJ (journal L’Événement de Québec)(1).
Ainsi, en mai 1922, le quotidien La Presse annonce que la station CKAC sera en ondes à l’automne.L’artisan de cette innovation est Jacques-NarcisseCartier. Originaire de Saint-Hyacinthe, il a d’abord fait ses classes comme opérateur radio à laMarconiWireless Telegraph Coen Nouvelle-Écosse. La station CKAC et la station CFCF, qui remplace désormais XWA, partageront la même fréquence pendant quelques années, ce qui est courant à l’époque. Cela signifie que les auditeurs peuvent capter alternativement des émissions en français et en anglais, selon le moment de la journée.
La station CKAC procède à quelques essais en septembre 1922 et la première émission officielle a lieu le samedi 30 septembre 1922. Le journal LaPresse rapporte ce qui suit :
« Le programme de samedi soir a duré sans interruption de 7 heures jusqu’à 11heures et demie, grâce à la courtoisie de la compagnie Marconi (poste CFCF, édifice de la Canada Cement) qui a fait relâche ce soir-là entre 8 et 9 heures, pour permettre au poste CKAC une émission continue(2).
L’émergence de la radiodiffusion se fait à la vitesse de l’éclair. De la vingtaine de stations commerciales nées au printemps 1922, on passe à plus de 80 stations de radio au Canada en 1928. Le nombre de permis de réception passe de 1 200 à 760 000entre 1921 et 1931 ! Le Canadien National forme un premier réseau pan canadien de stations durant cette première décennie. C’est en partie sur la base de ce premier réseau que sera créée, en 1936, la Société Radio-Canada, et notamment les stations montréalaises CBF et CBM.
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1. Pierre Pagé, L'histoire de la radio au Québec, Fides, 2006, p. 447.
2. La Presse, 2 octobre 1922, p. 17.
Durant les années 1920, il existe encore peu d’enregistrements sur disque et la plupart ont été enregistrés mécaniquement, ce qui leur confère une faible qualité acoustique. Ainsi, dès ses débuts, le studio de CKAC est conçu comme une petite salle de concert, ce qui permet d’accueillir des musiciens et de diffuser de la musique en direct. Lors du concert inaugural de la station, une quinzaine d’artistes se relaient au microphone. Qui plus est, le 27 janvier 1923, La Presse annonce à ses lecteurs que le studio dispose maintenant d’un orgue Casavant1.
La station de Marconi, CFCF, n’est pas en reste. En juin 1922, elle organise une Semaine de la radio :
« Demain soir et tous les soirs de la semaine prochaine, à 8 h 30, nous offrirons un concert spécial de radio à nos six théâtres en plus de notre programme ordinaire. Songez-y ! Des chanteurs, des instrumentistes et des fanfares, à des milles de distance, vous égaieront2. »
Dès février 1923, CKAC entreprend une série d’émissions visant à faire connaître au public d’ici les chansons et les musiques qui viennent de paraître en France. Cette série est sous la direction de Raoul Vennat, importateur de musique française. Des artistes de l’époque, comme la soprano Anne-Marie Asselin ou la basse Armand Gonthier, interprètent des compositions contemporaines. En juin 1923, CKAC diffuse une première opérette intitulée Les cloches de Corneville. Il s’agit d’une émission à grand déploiement où une dizaine de solistes est entourée d’un chœur de plus de 30 personnes et d’un orchestre de 25 musiciens !
En 1929, cette station négocie une entente avec le réseau américain CBS. L’entente permet à la station de diffuser localement des concerts de musique classique produits dans de grande villes américaines ou même européennes. En contrepartie, l’orchestre symphonique de CKAC, dirigé par Edmond Trudel, se produit plusieurs fois par semaine sur le réseau américain3. Ainsi, la musique et l’opéra ont été présents à la radio dès ses premières heures.
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1. La Presse, 27 janvier 1923, p.15.
2. La Presse, 17 juin 1922.
3. Pagé, op.cit., p. 322.
Au début de la radiophonie, les stations émettrices s’adressent aux classes moyennes et supérieures vu le coût d’acquisition des appareils récepteurs. Il est donc normal de proposer aux nouveaux auditeurs de la musique classique et des airs d’opéra. Toutefois, au fur et à mesure que le prix des radios diminue, on rejoint un nombre grandissant d’auditeurs de toutes les classes sociales. De plus, à compter du milieu de 1925, les enregistrements sur disque sont de meilleure qualité, les procédés ayant évolué. Alors qu’on ne peut vendre des disques qu’aux acheteurs qui disposent d’un gramophone et plus tard d’un tourne-disque à la maison, faire tourner ces disques à la radio permet de rejoindre un auditoire plus éloigné et plus grand.
De nouveaux artistes émergent grâce à la radio. L’un des tout premiers est probablement Willie Eckstein. Originaire de Pointe-Saint-Charles, ce pianiste de ragtime, qui travaille aussi au cinéma muet, aurait été invité par la jeune station XWA. En 1924, le folkloriste Conrad Gauthier participe pour la première fois à une émission au poste montréalais CKAC. Le violoneux Isidore Soucy est présent à la radio entre 1926 et 1930 grâce à l’émission de la Living Room Furniture à CKAC(1). D’autres voix comme celles de J. Hervey Germain, de Jacques Aubert et de Mary Travers – mieux connue sous le nom de La Bolduc – font aussi leur apparition. Dans les années 1940, le jeune MarcelMartel se produit à la radio de CHLN à Trois-Rivières, puis sur les ondes de CHEF à Granby(2).
Au cours des années 1940, Alys Robi est de plus en plus populaire auprès du public montréalais alors qu’elle interprète des airs du répertoire latino-américain. Elle se produit régulièrement en direct à CKAC en plus de commencer à enregistrer des78 tours(3).
L’utilisation de microphones plus performants permet à une nouvelle texture sonore de se répandre. Les crooners savent manier le micro et développent ainsi un nouveau son. Lionel Parent et Jean Lalonde font partie de ces nouveaux interprètes québécois.
En outre, plusieurs émissions de radio aident désormais à lancer des carrières. Ainsi, Guy Mauffette anime Baptiste et Marianne dans les années 1950, ce qui permet à Félix Leclerc des’y produire. Au cours des années 1940 et 1950, le chanteur et compositeur Fernand Robidoux anime à Trois-Rivières, à Sherbrooke et à Montréal plusieurs émissions au cours desquelles il fait connaître des jeunes chansonniers québécois, dont Raymond Lévesque(4).
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1. Jean Du Berger, Jacques Mathieu et Martine Roberge,
La radio à Québec, 1920-1960, PUL, 1997, p. 145.
2. Repéré en ligne au [http://lequebecunehistoiredefamille.com/stars/marcel-martel].
3. Repéré en ligne au [http://www.qim.com/artistes/biographie.asp?artistid=231].
4. Jean-Nicolas De Surmont, « L’impact de la radiophonie commerciale sur la poésie vocale québécoise », Revue internationale d’études canadiennes, nos 39-40, 2009, p. 75; accessible en ligne au [https://doi.org/10.7202/040823ar]
Au cours des années 1920, les stations de radio émettent seulement quelques heures par semaine. Graduellement, le nombre d’heures en ondes augmente et on cherche à diversifier la programmation. On y introduit quelques bulletins d’information (en soirée, pour ne pas nuire à la vente des journaux du matin), les cotes de la bourse, ainsi que des sketches et des pièces de théâtre. CKAC diffuse, le 5 avril 1923, une première pièce de théâtre, Félix Poutré de Louis Fréchette,puis, en juin, une autre pièce, La malédiction
En 1929, CKAC met en ondes L’heure provinciale, une émission éducative placée sous la direction d’Édouard Montpetit et subventionnée parle gouvernement du Québec. Elle présente chaque semaine des conférenciers ainsi que des musiciens, des compositeurs et des auteurs québécois. Le musicien et dramaturge Henri Letondal et la comédienne Juliette Béliveau animent pendant une dizaine d’années cette émission qui fera connaître des grands noms de la musique tels que Lionel Daunais et Claude Champagne ainsi que des auteurs québécois tels Robert Choquette et Jovette Bernier.
En 1939, Guy Mauffette réalise Grandes émissions du théâtre contemporain sur les ondes de CBF, la toute jeune station de Radio-Canada à Montréal. D’autres émissions du genre se succèdent à cette antenne. Au début, ce sont surtout des pièces du répertoire classique, mais graduellement on fait place à des œuvres québécoises, notamment dans des émissions comme Entrée des artistes, Radio théâtre Ford et L’équipe aux quatre vents. De cette façon, à la fin de la période de la guerre, les auditeurs peuvent découvrir les radio théâtres d’auteurs québécois tels Pierre Dagenais et Félix Leclerc aux côtés des Shakespeare, Racine, Tchékhov ou Corneille(1).
Radio-Canada diffuse également Radio Collège de 1941 à 1956. Selon les années, la durée de l’émission varie de quatre à huit heures par semaine. Au cours des années, on présentera une multitude de cours et de conférences dans différents domaines du savoir ainsi que des cours de théâtre sur le répertoire international et français, de même que des cours de musique allant de la théorie musicale à Mozart et l’opéra(2).
Durant les années 1950, l’émission Nouveautés dramatiques dirigée par Guy Beaulne et présentée à CBF se veut un laboratoire d’écriture dramatique pour la radio. Plusieurs auteurs y participent dont Yves Thériault, Yvette Naubert, Félix Leclerc, Marcel Dubé, Louis-Georges Carrier, Louis-MartinTard et Claude Jasmin. Puis les émissions Billet de faveur, Flagrant délit, Le théâtre de Québec, Le théâtre de poche et Studio d’essai se succèdent à CBF et permettent à de nouveaux auteurs comme Hubert Aquin et Jacques Languirand de se faire connaître au cours des années 1960. Plusieurs jeunes comédiens comme Robert Gadouas prennent place au microphone.
Au cours des années 1970, la société d’État continue à diffuser des radio théâtres, notamment lors des émissions Premières, de 1970 à 1986, et La Feuillaison où sont présentées des œuvres de Jacques Godbout, Pierre Turgeon, Normand Chaurette, Arlette Cousture et bien d’autres.
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1. Renée Legris, Histoire des genres dramatiques à la radio québécoise, Montréal, Septentrion, 2011, p. 131
2. Pierre Pagé « Le théâtre de répertoire international à Radio-Collège (1941-1956) », L’Annuaire théâtral, no 12 (automne 1992), p. 53-87; accessible en ligne au [https://doi.org/10.7202/041175a].
La radio étant un média de communication de masse par excellence, il n’est pas surprenant qu’on y entende, dès les premières années de son existence, l’adaptation radiophonique du feuilleton imprimé(1): le radioroman.
Au Québec, c’est à compter de 1935 que les auditeurs peuvent suivre quotidiennement les premiers héros francophones d’un radioroman, Le curé du village, écrit par le poète, romancier et scénariste Robert Choquette(2). L’émission de 15 minutes est présentée chaque soir, de janvier 1935 à juin 1938, sur les ondes de CKAC(3). Elle obtiendra un succès important dès sa première saison et, dès sa deuxième, de bonnes cotes d’écoute. On parle d’un réel phénomène social, de nombreux auditeurs des villes et des campagnes se regroupant chez des voisins pour l’écouter(4).
Ce genre littéraire connaîtra un succès phénoménal au Québec. Ce que les Américains désignent alors sous le vocable de soap opera, puisque ce sont généralement des fabricants de produits ménagers ou d’hygiène personnelle qui commanditent les émissions, prendra ici l’appellation de « radio-feuilleton » ou plus souvent de « radioroman ».
Robert Choquette écrira d’autres radioromans comme La pension Velder et Métropole. Bientôt, les œuvres de Claude-Henri Grignon (Un homme et son péché), Henry Deyglun (Vie de famille), Jean Desprez, nom de plume de Laurette Larocque (Jeunesse dorée, Yvan l’intrépide), Louis Morisset (Grande sœur, Vers le soleil avec tante Lucie, Rue des pignons, Face à la vie), Roger Lemelin (La famille Plouffe), Geneviève Guèvremont (Le survenant) et Françoise Loranger (La vie commence demain) et de bien d’autres auteurs seront jouées à la radio.
C’est donc l’occasion pour de nombreux comédiens et comédiennes de faire leurs débuts. Dans Le curé du village se produisent déjà des interprètes qui deviendront très connus du grand public tels que Denise Pelletier, Juliette Béliveau, Marjolaine Hébert, Paul Guèvremont, Ovila Légaré, Roland Chenail, Yvette Brind’Amour et Guy Mauffette.
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1. Les romans feuilletons étaient courants dans les journaux du 19e siècle, où les lecteurs pouvaient suivre chaque jour les aventures de leurs héros préférés. La concurrence entre les quotidiens était féroce, et cette forme de culture de masse faisait vendre de la copie. Certains feuilletons étaient l’œuvre de débutants, mais de grands auteurs comme Zola, Balzac et Maupassant ont aussi contribué à ce genre littéraire populaire.
2. Pagé, op.cit., p. 377.
3. Repéré en ligne au [https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Cur%C3%A9_de_village_(radio)]
4. Idem.
Les Québécois adorent les spectacles d’humour et ce n’est pas d’hier ! Les sketches humoristiques font leur apparition à la radio francophone dès le début des années 1930, et ils sont les précurseurs de la vogue des radioromans, qui se manifestera à la fin de cette décennie.
« Robert Choquette et Alfred Rousseau en sont les premiers auteurs. Les programmes humoristiques Au coin du feu (1931-1932) et Le Vieux Raconteur (1932-1933) sont axés sur la peinture de milieux sociaux du monde rural et régional. L’Auberge de la forêt noire, diffusé d’octobre à décembre en 1933 et en 1935, à CHLP, et L’Auberge des chercheurs d’or d’Alfred Rousseau, diffusé à CKAC et à CKCH entre octobre 1934 et mars 1935, présentent des séries de sketches inscrits dans une continuité narrative grâce à des personnages récurrents. Une série humoristique d’Alfred Rousseau, Les Aventures de quatre domestiques, est diffusée à l’antenne de CHLP entre septembre à décembre 1936(1). »
Outre les auteurs mentionnés ci-dessus, d’autres comme Gratien Gélinas, Ovila Légaré, Henry Deyglun, Claude Robillard et Édouard Baudry écrivent des textes humoristiques pour la radio. Les sketches diffusés en ondes sont aussi parfois satiriques. Ainsi, au cours des années 1940, Émile Coderre crée le personnage de Jean Narrache dans ses Rêveries de Jean Narrache diffusées par plusieurs stations québécoises. Des textes de Jovette Bernier alimentent la série de sketches humoristiques Quelles nouvelles entre 1939 et 1956.
« C’est sans doute dans le programme Chez Miville (1956-1970), réalisé par Paul Legendre, qu’on trouve la plus grande diversité des styles du comique, chacun des auteurs – Albert Brie, Louis-Martin Tard, Michel Dudragne, Jean Stéphane, Louis Pelland, Louis Landry – ayant développé une conception du comique qu’il exprime selon sa vision du monde(2). »
On ne peut passer sous silence l’importance de l’émission quotidienne Les joyeux troubadours, diffusée à CBF de 1941 à 1977. Dans une formule semblable à l’émission de variétés, on y présente des textes humoristiques et des blagues.
Au cours des années 1970 et 1980, les émissions humoristiques font appel à des comédiens pour qui la radio constitue un véritable tremplin. Pensons seulement à la notoriété de Tex Lecor et de ses comparses (Roger Joubert, Louis-PaulAllard, Pierre Labelle) dans le cadre du Nouveau festival de l’humour québécois, diffusé chaque semaine de 1974 à 1989 à CKAC, et à Rock et Belles Oreilles (Guy A. Lepage, Richard Z. Sirois, Chantal Francke, Bruno Landry, Yves P. Pelletier et André Ducharme), dont les débuts ont lieu à la radio communautaire CIBL-FM, en 1981.
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1. Legris, op. cit., p. 58.
2. Pagé, cité dans Legris, op. cit., p. 66.
Les stations de radio américaines peuvent être captées facilement au Canada et elles disposent de moyens financiers et technologiques puissants. Les stations canadiennes anglophones ont des moyens limités, mais comme la langue n’est pas un obstacle, elles achètent régulièrement des émissions à leurs consœurs américaines plutôt que d’en produire elles-mêmes.
Afin de contrer cet envahissement, des réseaux canadiens se forment, d’abord autour des stations du Canadien National. Ce réseau est remplacé en 1932 par l’arrivée de la Canadian RadioBroadcasting Commission (CRBC), elle-même remplacée en 1936 par le réseau anglais de la Canadian Broadcasting Corporation (CBC).
Ce nouveau réseau met en ondes des créations pancanadiennes telles que l’émission de variétés The Happy Gang, le radioroman familial The Craigs et, bien sûr, Hockey Night in Canada. Toutefois, c’est pendant la Seconde Guerre mondiale que les émissions de la CBC deviennent vraiment populaires.
Plusieurs soap operas en lien avec la guerre voient le jour : Theatre of Freedom, Fighting for Navy et Soldier’s Wife en sont quelques exemples. Des pièces de théâtre de différents auteurs canadiens tels qu’Andrew Allan, Esse Ljungh, Rupert Caplan et J. Frank Willis sont aussi diffusées. Même les émissions d’humour ont la cote si on pense aux débuts radiophoniques du duo Wayne and Shuster en 1941(1).
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1. Repéré en ligne au [https://www.collectionscanada.gc.ca/publications/archivist-magazine/015002-2131-e.html]
Certes, la force du radioroman dépend de la qualité de son écriture et de ses interprètes, mais elle est aussi tributaire des effets sonores qu’on y ajoute. Comme le mentionnait Robert Choquette, « le théâtre, à la radio, est un théâtre pour les aveugles(1). »
« Soudain se faisaient entendre les bruits d’une rue, les rumeurs qui s’échappaient d’un snack-bar ou d’un restaurant, l’atmosphère d’une maisonnée de campagne ou le brouhaha familial à l’heure des repas; dans ces univers recréés, l’auditeur basculait comme en un rêve et son imagination activait mille images(2). »
Le bruiteur est un artiste à part entière. Certains, comme Marcel Giguère, dont les débuts à la radio remontent à 1939, sont devenus connus du grand public en menant aussi une carrière de comédien.
« Le nom de Marcel Giguère est maintenant classé parmi les artisans les plus utiles à la radio. Outre ses qualités de bruiteur (métier qu’il possède à fond), Marcel Giguère possède les dons innés de comique. Il a une imagination très grande et il a tellement de talent à revendre qu’il peut se permettre de donner de précieux conseils aux réalisateurs(3). »
Qu’aurait été Séraphin Poudrier sans le bruit d’une porte qui grince lorsqu’il entre dans une pièce ?
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1. Du Berger et coll., op. cit., p. 228.
2. Idem, p. 232.
3. Radiomonde, 27 juillet 1946, p. 8.